La pêche artisanale peut être porteuse d’espoir en ces temps de crise provoquée par la pandémie de coronavirus

Déclaration du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP)

En un peu plus de trois mois, la crise sanitaire mondiale provoquée par le COVID-19 a changé la vie de tous les peuples de la planète et a déclenché des réactions sans précédent de la part des gouvernements du monde entier. Jusqu’à présent, la voix des communautés de pêche artisanale n’a pas pu se faire entendre dans les débats sur la manière de réagir à COVID19. En fait, la plupart des réponses proposées par les gouvernements met en relief leur incapacité permanente à réellement soutenir les communautés de pêche artisanale. Au sein de la WFFP, nous pensons que les gouvernements et les mouvements de pêcheurs artisanaux devraient trouver ensemble des mécanismes de réponse adaptés aux communautés de pêcheurs.

Les conséquences mortelles du très contagieux coronavirus et la médiocrité choquante des systèmes de santé nous poussent à favoriser massivement l’amélioration des infrastructures sanitaires et à prendre les mesures nécessaires pour arrêter la propagation de cette maladie. Cependant, nous avons aussi besoin de mécanismes d’appui pour protéger les droits humains de tous les peuples et, en particulier, pour s’assurer que personne ne souffre de la faim pendant cette période où la pêche artisanale et les systèmes d’approvisionnement alimentaires locaux cessent les uns après les autres leur activité.

C’est avec une profonde déception que nous constatons que les réponses des gouvernements ne tiennent compte ni des besoins ni de l’importance de la pêche artisanale. La fermeture des marchés locaux a entraîné l’arrêt presque total des activités de pêche artisanale au Honduras, en Équateur, en Turquie, en Afrique du Sud, au Sénégal, au Sri Lanka et en Gambie. Dans d’autres pays comme la Thaïlande, la Malaisie, l’Espagne, la France et les Maldives, les pêcheurs artisanaux peuvent continuer à travailler mais leurs revenus sont gravement limités par le manque de clients et la concurrence des flottes de pêche industrielles. Par conséquent, les prix chutent à tel point que il n’est plus possible de vivre économiquement de la pêche.

Les moyens mis en œuvre, aux quatre coins du monde, pour faire respecter la distance sociale entre les personnes et le couvre-feu sont la preuve d’un autoritarisme encore plus intense. Les membres des communautés pauvres doivent lutter pour avoir accès à de la nourriture. La « protection » militaire, l’interdiction de travailler sur les marchés aux poissons au Sri Lanka, la violence policière en Afrique du Sud et le blocage par l’armée de la nourriture ou d’autres produits à l’entrée et à la sortie du lac Turkana, au nord du Kenya, ne sont que quelques exemples des mesures brutales et autoritaires prises par de nombreux gouvernements. Ironiquement, ces mesures finiront par tuer plus de gens, que ce soit par balles ou par la famine, que le coronavirus lui-même. Nous dénonçons la réponse militarisée à une crise sanitaire.

Partout, les femmes sont confrontées à une double charge en tant qu’aidantes, puisque d’une part les enfants ne vont plus à l’école et que, d’autre part, les personnes âgées requièrent plus de soins. Les membres du WFFP nous rapportent d’autres conséquences immédiates pour les femmes. En Malaisie, des dizaines de milliers de femmes ont perdu leur moyen de subsistance étant donné que les activités de transformation et de commercialisation ont été complètement interrompues. En Thaïlande, où les pêcheurs ont commencé à vendre leurs prises directement aux clients par le biais de systèmes numériques, suite à l’application de mesures de distanciation sociale, les femmes n’ont plus accès aux activités de transformation et de vente. En Afrique du Sud, les femmes qui travaillent à temps partiel dans d’autres secteurs, comme le tourisme, ont été renvoyées chez elles sans aucune forme de compensation. Au Sri Lanka, les femmes souffrent de plus en plus de violences domestiques et l’on signale que des familles à la tête desquelles se trouvent des femmes connaissent une grave insécurité alimentaire et n’ont pas accès aux médicaments ni aux services de santé. Les gouvernements devraient s’engager encore plus que jamais pour mettre fin à la violence et à la discrimination à l’égard des femmes.

La cessation d’activité de la pêche artisanale et des marchés locaux affecte les personnes directement impliquées dans la chaîne de valeur de la pêche artisanale ainsi que les millions de personnes qui dépendent du poisson comme source de protéine saine et économique dans le monde entier. En outre, le caractère généralement informel du secteur de la pêche artisanale rend les communautés de pêcheurs encore plus vulnérables, car les mécanismes d’aide sont destinés à l’économie formelle et au secteur agro-alimentaire industriel. Au fond, de telles réponses renforcent le déséquilibre des forces entre le secteur agro-alimentaire industriel et les sociétés transnationales, d’une part, et les petits producteurs de denrées alimentaires, d’autre part.

La crise s’aggrave et nos réponses doivent cibler les failles sous-jacentes de notre système alimentaire, dans lequel les enseignes des supermarchés et l’industrie agro-alimentaire sont perçues comme des bouées de sauvetage. Nous devons plutôt élaborer des solutions locales. La recette est simple. D’une part, les gouvernements doivent cesser d’accorder des faveurs politiques et économiques et de donner de l’argent à l’industrie agro-alimentaire. D’autre part, les gouvernements doivent soutenir les pêcheurs artisanaux (et d’autres petits producteurs de denrées alimentaires) et leurs systèmes alimentaires locaux, en se basant sur les principes de la souveraineté alimentaire.

Nous rappelons à nos gouvernements les valeurs et les principes de la souveraineté alimentaire dans le domaine de la pêche à petite échelle et les invitons à :

– Valoriser les fournisseurs de denrées alimentaires et soutenir le système alimentaire local qui fournit une alimentation saine et nutritive à des millions de personnes à des prix abordables.

– Apporter leur soutien à l’amélioration de la qualité des produits et des conditions de travail, y compris l’amélioration des conditions sanitaires et de santé dans le secteur de la pêche artisanale.

– Travailler avec les organisations de pêcheurs pour renforcer le contrôle démocratique local sur les ressources de la terre et de l’eau, et pour trouver des mesures adaptées afin d’arrêter la propagation du coronavirus.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’accès à une alimentation saine et nutritive. Les communautés qui vivent isolées du monde extérieur ont difficilement accès à la nourriture, ce qui génère de la peur et de la panique avant même que la famine ne s’installe. Même dans les pays et les régions où la nourriture est disponible en abondance, les distances de plus en plus grandes que l’on doit parcourir pour se rendre dans les supermarchés et la hausse des prix empêchent des millions de personnes d’acheter des denrées alimentaires de base. Nous exigeons que nos gouvernements garantissent l’accès à la nourriture pour tous, en particulier pour les communautés isolées et marginalisées et celles qui sont touchées de manière disproportionnée par la crise actuelle, comme les pêcheurs artisanaux et leurs familles.

Nous rappellons à nos gouvernements les Directives internationales visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, approuvées par le Comité des pêches de la FAO en 2014 et souligne notamment qu’il est de la responsabilité des États de promouvoir une approche fondée sur les droits humains et de garantir la participation des organisations de pêcheurs à la prise de décision. En cette période de profonde crise sanitaire, sociale, environnementale et économique, nous réaffirmons que les petits producteurs de denrées alimentaires sont non seulement au cœur de la production alimentaire, mais doivent également se trouver au centre de l’action politique et du processus de prise de décisions.

Nous continuons à vouloir travailler avec les gouvernements pour trouver des solutions durables, justes et viables pour gérer cette crise multidimensionnelle. Ce faisant, nous serons plus à même de parvenir à la souveraineté alimentaire dans un avenir proche.

Éradiquons le COVID-19 et toutes les formes d’injustice !

Publié par :

Nadine Nembard (secrétaire générale), Christiana Louwa & Moises Osorto (coprésidents)

Pour le Forum mondial des peuples de pêcheurs (WFFP)